Sommaire
     
TRAVAIL - FAMILLE - CONSOMMATION


Cette chienne de garde ne connaîtra jamais la sensation de l'ouvert et l'acceuillant

Le spectacle a bien compris qu'il était dangereux de laisser dormir certaines vérités critiques en feignant de les ignorer et de les laisser ainsi à la disposition du virtuel parti du négatif. Il lui faut donc arracher certains lambeaux de vérités, reprendre des slogans, des mots, récupérer certains acteurs, rebâtir certaines personnalités à son image quand celles-ci s'avèrent irrécupérables: ainsi, entre tant d'autres, Marx, Nietzche, Rimbaud, Orwell, plus récemment Debord,...

Contre un tel pillage, le rôle des révolutionnaires est de travailler à la ré appropriation totale par les hommes de leurs conditions pratiques d'existence par une réappropriation préalable du langage et de la pensée critique détournés par le pouvoir: refaisons venir à nous non seulement Marx, Hegel, Orwell, Debord, Marcuse, Adorno, mais également, pour son honnêteté intellectuelle, Hannah Arendt; redonnons un sens à des mots comme désir, amour, sexualité, jouissance, mémoire, histoire, révision, négation, conspiration, manipulation, fascisme, communisme, socialisme, totalitarisme, révolution, culture pollués par trente années de contre-révolution; conchions les récupérateurs, à commencer par le plus embabouiné des pro- Debord français, Sollers; faisons jouer le clavecin.

Mais, cependant, comment exproprier les expropriateurs de la critique radicale, comment utiliser ou réutiliser les textes critiques du passé au service de la contestation de l'ordre existant? D'abord, ne pas chercher à les plaquer tels quels, mais si, à travers eux, on se trouve aux prises avec notre moment historique, il faut surtout ne pas les laisser dormir mais, au contraire, s'en emparer et les faire siens. D'autre part, si un texte qui, en son temps, fut authentiquement scandaleux, intempestif et irrecevable prend aujourd'hui des résonances désagréablement familières, en ce sens qu'il semble posséder des affinités avec l'idéologie dominante, il n'y a pas à chercher bien loin: la récupération est passée par là, soit que le texte était effectivement totalement récupérable (le scandale initial était alors apparent et le texte n'avait qu'une valeur transitoire: préparer le renouvellement de l'idéologie dominante, usée sous sa forme d'alors, et mettre en place son successeur: à cette catégorie on peut rattacher les textes du FHAR, ceux des "désirants" Deleuze, Guattari, Lyotard, ceux également de nombreux dissidents de l'Est (du moins dans leur partie positive droit-de-l'hommiste), le futurisme italien pour sa plus grande part,. ..); soit que certains aspects pouvaient être récupérées au prix d'une défiguration et d'un remodelage: il convient alors de remettre au jour le noyau critique dissimulé sous les oripeaux de la récupération (cf, par exemple, Reich, Vaneighem,... ).

Ce qu'il s'agit, par contre, d'éviter à tout prix, c'est de singer le pouvoir en détachant arbitrairement des citations de leur contexte et en les rattachant purement et simplement à l'idéologie dominante: sous couvert de critique on conforte ainsi la domination dans son entreprise d'accaparement de la pensée radicale (et plus généralement de toute culture véritable) en ne cherchant pas, bien au contraire, à en contester la légitimité et en transformant les penseurs critiques (voire les poètes) en autant de précurseurs de la société dominante. Ce procédé, qu'a immortalisé le charlatan Camus dans L'homme révolté, lorsque, roquet aboyant aux basques des géants, flic demandant des comptes à la révolte, il s'emploie, par un système de citations isolées et d'insinuations mensongères, à rabaisser Sade, Marx, Bakounine, Lautréamont ou Rimbaud, est d'une extrême facilité d'emploi. On peut, au choix, transformer les situationnistes en précurseurs de l'idéologie du dialogue et de la concertation, en thuriféraires de Loft Story: " la culture situationniste sera un art du dialogue, un art de l'interaction " , Baudelaire en promoteur de la fausse conscience consumériste et de son obsession de la nouveauté: " Plonger Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau! ", Omar Khayyam en maître à penser de l'hédonisme marchand anti-historique " Tu n'as pas aujourd'hui de pouvoir sur demain; L'anxiété du lendemain est inutile. "; " Rien de ce que tu peux dire du passé ne m'est un charme; Sois heureux d'aujourd'hui, ne parle pas d'hier "; " Le chagrin ne fit jamais languir ma pensée à propos de deux jours, celui qui n'est pas encore, celui qui est passé. " ; " Autant que tu le peux, vis un moment pour toi-même; ne goûte qu'au présent...le passé a l'odeur des morts. "...


C'est un traitement de même nature qui est réservé par Jean- Claude Semprun et Jaime Michéa à Vaneighem et Khayati et en particulier à la fameuse conclusion de De la misère...: Vivre sans temps mort et jouir sans entraves…lorsqu'ils leur dénient tout caractère révolutionnaire et les transforment en " avant- garde de l'adaptation " (ainsi, pour certains, Marx préfigure Staline et Nietzche est déclaré précurseur du nazisme). A quoi bon de telles jérémiades, sinon, peut-être, à servir de parfait contre-exemple à la critique véritable? Il ne sert à rien de déplorer la " contribution " ou, plus honnêtement, la récupération de la pensée radicale si l'on ne cherche pas à aller plus loin. La question intéressante est: récupéré comment? Khayati et ses amis avaient-ils réellement en vue ce qui est actuellement compris sous le slogan cité plus haut? Et sinon pourquoi et contre quoi l'ont-ils lancé?

Les auteurs de La misère voulaient, à la suite de l'International Situationniste, ramener la révolution dans la vie quotidienne. Contre les marxismes officiels et dissidents(Althusser), ils voulaient faire comprendre qu'une révolution qui ne passe que par la tête, et pas par le corps, pas par la queue, est une révolution condamnée à l'échec. Une révolution engluée dans les médiations, les abstractions, les phases transitoires, les moyens différant de la fin est déjà une contre-révolution. D'où cette éloge de l'immédiateté, de l'impatience, du refus de se sacrifier pour un paradis perdu dans les brumes de l'avenir...agis comme s'il ne devait jamais exister de futur…

Bien sûr, détachés de leur contexte et appliqués aux jeunes ravers ou cybernautes, de tels slogans prennent une tonalité franchement sinistre. Mais, comme disait CarI: " Dans toute critique stratégique, l'essentiel est de se mettre exactement au point de vue des acteurs La grande majorité des critiques stratégiques disparaîtraient complètement, ou se réduiraient à de très légères distinctions de compréhension, si les écrivains voulaient ou pouvaient se mettre par la pensée dans toutes les circonstances où se trouvaient les acteurs. ". Mais éviter ce travers ne suffit pas, il faut aussi renouveler la critique pour la mettre au diapason des conditions changées: être d'avant- garde, c'est marcher au pas de la réalité et ne jamais se reposer sur les acquis de la critique antérieure, sous peine de se voir infailliblement récupéré. Nous répondrons donc maintenant à la première question.

Celle-ci peut, pour l'essentiel, se ramener à cette autre interrogation: y a-t-il eu réellement " révolution " et " libération " sexuelle?

Une confrontation préalable de deux diagnostics formulés à plus de quarante ans d'intervalle peut quelque peu nous éclairer: " la promiscuité sexuelle du Meilleur des mondes ne semble pas, non plus, devoir être fort éloignée. Il y a déjà certaines villes américaines où le nombre des divorces est égal au nombre des mariages. Dans quelques années, sans doute, on vendra des permis de mariage comme on vend des permis de chiens, valables pour une période de douze mois, sans aucun règlement interdisant de changer de chien ou d'avoir plus d'un animal à la fois. A mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s'accroître en compensation. Et le dictateur fera bien d'encourager cette liberté-là. Conjointement avec la liberté de se livrer aux songes en plein jour sous l'influence des drogues, du cinéma et de la radio, elle contribuera à réconcilier ses sujets avec la servitude qui sera leur sort. " (A. Huxley, préface de 1946). " Dans le huis clos des relations marchandes, le désir vivant de refaire le monde, partout identique, mais enfoui dans des objets vivants qui s'affrontent, s'épuise contre lui-même.
Manifestant la même révolte chacun est séparé des autres par la double distance qui l'éloigne de sa propre liberté, par la forme mystifiée que la coagulation marchande imprime à son désir de vivre. Les relations amoureuses sont assujetties à ces contraintes la sexualité est la plus banale des conduites sociales, qui reflète précisément les autres Il n'y a évidemment pas de "liberté sexuelle "…La " liberté " est seulement la condition nécessaire de toute " sexualité "…(Bounine, Le Temps du Sida).

L'extraordinaire et précoce lucidité de Huxley ne le met pas à l'abri de cette " étourderie méthodique " (Fourier) qui lui fait ignorer " le point de vue total de la société moderne " (De la misère...). La phrase soulignée par nos soins a en effet pour corollaire la croyance en une liberté économique et politique doublée d'une absence de liberté sexuelle, croyance aussi absurde que l'idée libérale d'une égalité politique doublée d'une inégalité sociale et économique.
Bounan, au contraire, a le mérite d'axer sa critique sur la totalité et -quelques soient par ailleurs les réserves que l'on puisse avoir sur son essai -d'avoir rappellé la voie menant à la résolution de l'énigme. En effet, le spectateur fin-de-siècle, cet être veule et soumis, exécutant fidèle, pendant le jour, des volontés de son patron (il faut bien grailler, n'est-ce pas?) espère trouver, le soir, dans l'intimité et en particulier dans le sexe, la liberté qui lui fait défaut partout ailleurs : esclave au bureau, roi dans son lit! Il soumet ainsi son existence et sa personnalité à un dédoublement schizophrénique, qui lui fait croire à la possibilité d'une réalisation fantastique à travers l'érotisme, devenu objet d'un véritable surinvestissement (dont témoigne la prolifération cancéreuse de la marchandise sexuelle). Les médias le lui ont dit, les psys le lui ont répété: un bon travail est le gage d'une sexualité pleinement épanouie et comblée. Or, tout au contraire, la suppression du travail est la condition première du dépassement effectif de la société marchande, de l'abolition -dans la vie quotidienne de chacun - de la séparation entre un " temps libre ", voué aux différentes " révolutions " et " libérations " marchandes, qu'elles soient sexuelles ou non, et un " temps de travail ", voué à la production marchande, secteurs complémentaires d'une vie aliénée.
La révolution de 68 n'avait pas d'autre but: seul son échec a pu permettre à la récupération de jouer son oeuvre. La société marchande, quant à elle, a suivi son cours, passant tranquillement du modèle autoritaire et patriarcal de la famille, où le père constitue la référence suprême, que le fils doit tenter d'égaler (la mère se chargeant d'assurer l'entretien du foyer domestique et l'éducation des enfants) au modèle consumériste, où l'enfant, plutôt le petit consommateur, sert de référence et où les parents, s'acquittant tous deux ponctuellement de leurs obligations professionnelles, s'efforcent (dans la mesure toutefois où la pauvreté des relations humaines engendrées par une vie entièrement passée au crible de la marchandise ne les empêche pas de demeurer ensemble et, tout au moins, de se supporter mutuellement) d'adapter leurs enfants au rythme de la production des marchandises avant de s'adapter eux-mêmes à ces mêmes enfants, tels qu'ils sont devenus ou, plutôt, tels qu'on les a fait devenir (Oh! la hideuse figure du papy à la page s'efforçant de rester dans le coup...).

Familles décomposées, familles recomposées, je vous hais! vous, qui vous méprisez vous-mêmes et qui méprisez vos enfants, qui les ravalez au rang des marchandises dont vous les abreuvez dès le plus jeune âge, puissiez-vous rencontrer votre Maldoror! Quant à vous les gueux qui frappez maintenant au portique des valeurs bourgeoises, vous et vos droits au mariage, à la paternité, aux enfants, vous qui voulez mettre la médecine spectaculaire au service de vos caprices de philistins, que le gamin Arthur et le forçat de Reading vous crachent à la gueule!

Lesbos, homos, hétéros:
Travail, Famille, Consommation,
tel est à présent votre devise commune.

Sous le Fascisme Intégral,
faire des enfants est un crime contre l'humanité.

Faire la révolution peut encore les sauver!


La veritable origine du monde

haut

Précédent Suivant